Assurance d’objets d’art : la nécessité d’une police spécialisée

Assurance d’objets d’art : la nécessité d’une police spécialisée

Certains collectionneurs pensent que leur collection est déjà couverte via le contrat global contenu de leur maison, appelé souvent « police incendie » dans le jargon des assureurs. Ce n’est malheureusement souvent pas le cas ou alors seulement très partiellement.

Il y a trois grandes différences entre un contrat incendie classique et un contrat spécialisé pour les objets d’art :

  • La première concerne les garanties : « Tous Risques sauf » ou Périls nommés
  • La deuxième, les limites d’indemnité par objet
  • Et la troisième, la base sur laquelle l’indemnité est calculée en cas de sinistre.

Analysons ces trois points :

1. Les garanties :

La toute première chose à retenir, c’est la différence entre un contrat « Tous risques sauf… » et les polices habituellement vendues pour le contenu des habitations, qui, elles, sont des polices « périls nommés ».

Techniquement, une police « périls nommés » est un contrat où les périls contre lesquels vous êtes assuré sont nommément cités (par exemple l’incendie, les dégâts des eaux, la foudre, la pression de la neige ou le vol qui est souvent une option).  Si un événement endommage vos biens mais qu’il ne figure pas dans la liste des périls couverts par votre police, ce ne sera pas couvert.

Une police Tous Risques fonctionne exactement à l’inverse : il n’y a pas de liste de périls puisque a priori TOUS les risques matériels sont couverts, il y a simplement une série d’exclusions.

Si vous voulez savoir si quelque chose est bien couvert, il vous suffit donc de vérifier si ce quelque chose figure ou pas dans les exclusions. Si on n’en dit rien, c’est donc couvert. Si on l’exclut, ce n’est donc pas couvert.

Soyez rassurés : dans les polices Tous Risques, les exclusions sont généralement peu nombreuses et prévisibles.

Voici quelques exemple de sinistres qui seront couverts en Tous Risques et exclus en Périls nommés:

  • Votre verre de vin vous échappe des mains et tombe sur le tapis ancien de votre salon. La tache ne peut être nettoyée parfaitement. Le tapis est fichu.
  • Un de vos tableaux se décroche et tombe sur la table basse en marbre. La toile est déchirée et irréparable.

Une police périls nommés ne prévoit pas ce type d’événement. Ce ne sera donc pas couvert. La police Tous Risques n’exclut pas ce type de choses, ce sera donc couvert.

Outre les classiques exclusions de guerre, fission nucléaire et autres qui figurent dans toutes les polices habitation classiques, voici quelques exemples des exclusions plus spécifiques qu’on retrouve dans les contrats « Tous Risques sauf » :

  • Les dommages progressifs : par exemple : la décoloration d’une aquarelle exposée au soleil ou les petites craquelures qui apparaissent progressivement sur une toile.
  • Les dommages non accidentels sont évidemment exclus: si lors d’une scène de ménage, Monsieur jette par terre le vase Ming préféré de sa belle-mère, ce ne sera pas couvert. Par contre, le bris accidentel, lui, est bien assuré. Si ce même vase Ming est endommagé par un invité lors d’un dîner, il sera couvert pour autant que les dommages soient accidentels.
  • Le vice propre est également une notion importante. En cas de dommage dû à un vice interne dans l’œuvre, ce ne sera pas couvert. Il s’agit par exemple du mauvais fonctionnement d’un mécanisme dans une œuvre contemporaine munie d’un moteur ou, de différents matériaux utilisés par l’artiste qui ne réagissent pas bien ensemble et provoquent un changement de couleur.

Un point important est qu’il y ait un événement. Celui-ci doit être soudain et accidentel. Si une œuvre s’endommage sans qu’il n’y ait d’événement particulier, il s’agira probablement d’un dommage progressif, donc non couvert.

Un exemple : si je laisse une œuvre d’art pendant plusieurs années dans un local humide et que de la moisissure apparait, il n’y a pas eu d’événement, ce ne sera donc pas couvert. Si par contre, suite à une rupture de canalisation dans ma salle de bain, l’eau coule dans mon salon, juste sur mon  tableau préféré et que dans les heures qui suivent de la moisissure apparait, on considérera que c’est bien couvert puisque l’origine du sinistre est due à un événement soudain et accidentel et qu’il ne s’agit pas d’un dommage progressif.

  • Différents types de contrats Tous Risques

Attention, certains contrats utilisent l’appellation « Tous Risques » mais sont en réalité des polices de type « périls nommés ». Dans ce type de contrat, les périls sont nommés (par exemple l’incendie) MAIS pour chaque péril précis on vous dit que tout est couvert sauf…

Il est donc facile de faire la distinction, dès qu’il y a une liste de garanties couvertes, on est très probablement dans une police de type « périls nommés ».

  • La charge de la preuve

Une des conséquence majeures de la rédaction des contrats sur le mode « Tous Risques sauf » est l’inversion de la charge de la preuve. De quoi s’agit-il ?

Dans une police périls nommés, c’est à l’assuré de prouver que le sinistre qui a endommagé son bien était bien causé par un péril repris dans la liste de sa police d’assurance. Selon les termes utilisés, cela peut parfois créer des discussions.

Dans la police Tous Risques, c’est à l’assureur de démontrer que l’événement survenu faisait partie de sa liste d’exclusions.

Cet élément est primordial en cas de sinistre en Tous Risques. L’assuré ne doit plus prouver que son sinistre est couvert ! C’est à la Compagnie de prouver que ce n’est pas assuré!

2. Les limites d’indemnité :

Une deuxième différence majeure entre un contrat classique couvrant le contenu général d’une maison et un contrat spécialisé en œuvres d’art concerne les limites d’indemnité.

Dans un contrat classique incendie, une limite par objet sera d’application en cas de sinistre. Cette limite diffère en fonction des Compagnies et des contrats mais elle oscille en général entre 5 à 12.000 € maximum par objet. Cela signifie donc que si mon tableau du 17ème siècle d’une valeur de 25.000 € brûle et que dans mon contrat incendie, il y a une limite de 10.000 € par objet, je ne serai indemnisé que jusqu’à un maximum de 10.000 €. Le solde restant à ma charge.

De plus, une vétusté peut même être comptabilisée par la Compagnie. Il s’agit d’un pourcentage qui est déduit du prix d’achat d’un bien afin d’obtenir sa valeur réelle.

Un contrat objets d’art fonctionne différemment. En effet, une des bases essentielles de l’assurance d’œuvres d’art est la VALEUR AGREEE.

C’est-à-dire que la valeur assurée d’une œuvre est fixée de commun accord avec l’assuré au départ du contrat, sur base d’une estimation ou bien sur base d’une facture d’achat. En cas de sinistre total, c’est cette valeur qui sera indemnisée. Ni l’assureur, ni l’assuré ne pourront la remettre en cause, sauf en cas de fraude. Si mon tableau du 17ème siècle a été listé pour une valeur de 25.000 €, c’est donc cette valeur-là qui sera indemnisée en cas de sinistre total.

Il y a donc souvent une expertise qui a lieu avant la souscription, par un expert «maison» chez certains assureurs (ce qui offre l’avantage d’être gratuit…), ou par un expert agréé choisi par l’assuré et qu’il rémunère. Pour des œuvres qui viennent d’être achetées, la facture d’achat peut tenir lieu d’expertise.

Une fois que la liste est établie comportant la description de l’objet ainsi que la valeur agréée,  elle est annexée au contrat et en fait partie intégrante.

Cela permet donc d’éviter des discussions interminables en cas de sinistre et est un des pivots de ce type de couverture.

Il faut aussi noter que les valeurs agréées pour les œuvres d’art ne sont pas indexées. Cela n’aurait pas de sens. En effet, la valeur d’une œuvre n’évolue pas selon l’index mais selon des critères propres. Elle peut augmenter ou diminuer. C’est donc un point à surveiller par l’assuré. Mes listes sont-elles toujours à jour ? La valeur de ma commode Louis XVI a-t’elle diminué ? Si oui, cela permettra peut-être de réduire un peu la prime. Si mon tableau de Basquiat a pris de la valeur, je dois le signaler à l’assureur pour que cela soit pris en compte en cas de sinistre.

D’autre part, il existe plusieurs valeurs pour une œuvre d’art. On peut l’aborder de différentes façon ; la valeur historique, esthétique, sentimentale, etc. La philosophie d’un contrat d’assurance est d’indemniser l’assuré sur base du prix qu’il devrait payer pour réacquérir une œuvre similaire sur le marché de l’art. La valeur sentimentale n’est donc pas prise en compte.

Si j’ai un portrait de ma grand-mère fait par un artiste local, il aura peut-être une grande valeur sentimentale pour moi mais je ne pourrai l’assurer que sur base de la valeur du même type de portrait par le même artiste sur le marché de l’art.

Si par contre, ma grand-mère a été peinte par Picasso, ce portrait aura une très grande valeur, mais ce ne sera probablement pas dû à ma grand-mère mais plutôt à la cote de l’artiste.

Un contrat d’assurance ne peut pas être une source de bénéfice pour l’assuré. On ne peut donc pas assurer une œuvre d’une valeur de 1.000 € pour 1.000.000 €. Ceci aussi pour des raisons évidentes de fraude.

Par contre, il peut être possible d’assurer un tableau d’une très grande valeur pour un montant plus réduit. Si j’ai un Rubens de 5.000.000 €, je peux choisir d’être mon propre assureur pour la moitié de la valeur et de ne le couvrir qu’à hauteur de 50%, soit 2.500.000  €. En cas de sinistre total, l’indemnité sera plafonnée à 2,5 M €. En cas de sinistre partiel, je serai mon propre assureur pour 50% des frais de restauration et de moins-value.

Ces discussions sur la valeur de l’œuvre sont importantes parce que cela détermine ce que l’assuré touchera ou pas lors d’un sinistre éventuel. Il est primordial d’avoir ce dialogue avec la Compagnie au moment de la souscription du contrat. C’est à ce moment-là que la valeur agréée a été décidée. Au moment du sinistre, il est trop tard pour remettre cette valeur en cause.

3. La base d’indemnité en cas de sinistre

Une troisième différence importante entre un contrat incendie et un contrat objets d’art concerne la base sur laquelle l’assuré va être remboursé en cas de sinistre.

Dans le contrat incendie, l’indemnisation est calculée sur base de la valeur de marché des objets. Le problème est évidemment qu’il est souvent impossible de valoriser à l’euro près une œuvre d’art. Tout simplement parce que cette œuvre est la plupart du temps unique et que sa valeur dépend de toute une série de facteurs, son état, sa provenance, l’intérêt pour ce type d’œuvres à un moment donné, etc. La valeur d’une œuvre d’art évolue entre une fourchette basse et une fourchette haute.

Si vous demandez une valorisation d’une œuvre à 10 experts différents, vous aurez probablement 10 valeurs différentes.

Dans un contrat contenu classique, certaines conditions prévoient même de déduire la vétusté.

De plus, il n’est pas certain que l’assureur classique tiendra compte de la moins-value de l’œuvre après restauration. Alors même que cette moins-value représente parfois une part importante des dommages.

Vous imaginez le casse-tête que tout cela peut représenter en cas de sinistre.

Dans un contrat objets d’art, ces problèmes ne se posent pas puisque, nous l’avons vu, les œuvres sont assurées sur base de la valeur agréée.

Nous avons donc parcouru ensemble ces trois différences essentielles entre la police incendie classique et la police tous risques sauf:

  • Les garanties : Tous Risques ou Périls nommés
  • Les limites d’indemnité et la Valeur agréée
  • Ainsi que la base d’indemnité en cas de sinistre

Il y a encore d’autres différences, comme par exemple l’absence de franchise pour les objets d’art listés alors que la franchise légale dans les contrats incendie est de l’ordre de 200 €.

La règle proportionnelle peut également jouer dans les contrats contenu alors qu’elle n’est pas d’application en cas de valeur agréée puisque par définition, cette valeur aura fait l’objet d’un accord entre assureur et assuré.

 

Alexandre Moretus
Master Art Expert

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