
Pourquoi et comment établir la provenance d’une œuvre d’art ou d’une collection ?
Avoir documenté l’origine et la provenance d’une œuvre d’art est devenu un impératif (au vu de la réglementation anti-blanchiment – AML) si l’on souhaite l’assurer la revendre ou la transmettre. Jean Verheyen, souscripteur-mandaté spécialisé, notamment dans l’assurance des œuvres d’art et des collections, membre du groupe AXA, explique comment procéder.
Vous avez hérité d’œuvres d’art dont vous ne connaissez pas vraiment la valeur ? Vous êtes un amateur d’art ou un collectionneur invétéré ? Si vous envisagez de vendre un jour certaines œuvres de prix ou de les léguer sans en faire des cadeaux empoisonnés pour vos héritiers, préparer un dossier de provenance pour chaque œuvre est impératif. Une démarche également indispensable pour les assurer ‘tous risques sauf’ grâce à une police art & patrimoine.
« Connaitre la provenance des œuvres que l’on a acheté ou dont on a hérité est devenu un prérequis indispensable dans le marché de l’art. On ne peut plus mettre en vente ou assurer une œuvre de prix sans justifier sa traçabilité car les professionnels du secteur sont tenus par des obligations légales anti-blanchiment » explique Patricia Dillen, Deputy Director Art & Patrimony chez Jean Verheyen.
En Belgique, la loi du 18 septembre 2017 sur la lutte contre le blanchiment d’argent impose en effet des obligations strictes aux assureurs, notamment en ce qui concerne l’identification des clients, la vérification de l’origine des fonds et la surveillance des transactions. Ainsi que l’obligation de signaler à la CTIF (Cellule de Traitement des Informations Financières) toute activité suspecte.
Dans le secteur de l’assurance, on parle souvent de blanchiment secondaire, l’assureur risquant de légitimer malgré lui du blanchiment ayant eu lieu avant l’acquisition de l’œuvre. Imaginons une personne qui achète un bien immobilier avec des fonds douteux, puis qui le revend pour acheter une œuvre d’art, un bijou ou une antiquité, et qui souscrit une police d’assurance. L’œuvre ou l’objet d’art est ainsi légitimé et son propriétaire pourra invoquer la police d’assurance comme élément justificatif de sa valeur. Surtout s’il y a eu un sinistre et que l’assureur a payé une indemnité.
Comment établir la provenance d’une œuvre ?
« La provenance d’une œuvre recouvre son histoire détaillée, depuis sa création dans l’atelier de l’artiste et son parcours – si elle a été prêtée à des expositions, si elle a été revendue en vente publique, ses propriétaires successifs, etc. – jusqu’à sa localisation actuelle », explique
Patricia De Zwaef, Expert judiciaire au Grand-Duché de Luxembourg, qui intervient aussi bien pour des assureurs spécialisés en art lors d’un sinistre que pour faire l’inventaire d’une collection, en vue d’établir un contrat d’assurance.
La grande question que vous posera un professionnel du marché de l’art est : « Avez-vous des documents de provenance ? » S’il s’agit d’art contemporain, on aura la facture et généralement la description de l’œuvre. Lorsque les œuvres sont anciennes, les documents n’ont pas forcément été conservés au fil des déménagements et des transmissions. Il faudra donc tenter de reconstituer l’histoire de l’œuvre en la documentant. Peut-être y a-t-il eu une restauration (et donc un rapport de restauration) ou un encadrement (avec une facture) ? Documenter l’œuvre, c’est aussi prendre des photos pour montrer son état actuel.
Lorsqu’il n’y a pas de documents directs, il faut alors chercher des documents indirects, comme des correspondances ou des photos anciennes. Une lettre pourrait par exemple mentionner l’achat de l’œuvre dans telle galerie, en telle année.
Une fois le dossier de provenance réalisé, pensez à conserver une copie des documents en sécurité, en dehors du lieu où se trouvent les œuvres, surtout dans le cas d’œuvres de très grande valeur. En cas d’incendie ou autre sinistre, vous aurez ainsi toujours vos justificatifs.
Valoriser et repérer les faux
Établir un dossier de provenance sert aussi à valoriser les œuvres. « J’ai récemment conseillé à un jeune homme qui avait hérité d’un très beau bronze mais sans aucun document, de regarder dans les albums de famille. Il a trouvé une photo des années 50 où l’on voyait le bronze sur le bureau de son grand-père. Le sculpteur étant décédé dans les années 60, cela a prouvé que l’œuvre datait du vivant de l’artiste et qu’elle avait donc une plus grande valeur que si elle avait été coulée de manière posthume », explique Patricia De Zwaef.
Outre les documents, il ne faut bien sûr pas oublier l’expertise de l’œuvre elle-même. Elle sera regardée sous toutes les coutures. Au niveau des techniques picturales, l’examen peut se faire à l’œil nu et à l’aide d’une loupe ou de rayons ultraviolets. Les examens en laboratoire (radiographies, réflectographie infrarouge…) sont réservés au cas d’authentification d’œuvres de plus grande valeur potentielle.
Au dos des peintures, il y a souvent des étiquettes indiquant le passage dans telle salle de vente ou telle galerie. L’expert se penchera sur ces étiquettes et leur cohérence historique (certaine ayant pu être décollées et recollées sur d’autres œuvres).
« Au fur et à mesure des années d’expérience, on devient plus attentif à certains détails, révélateurs, de véritables signaux d’alerte. Par exemple, le style graphique des étiquettes de galerie évolue au fil du temps. Si une étiquette présente un design typique des années 50, mais qu’elle est apposée sur une œuvre censée dater du début du 20e siècle, cela crée un décalage temporel suspect. Ce type d’anachronisme peut alors éveiller des doutes quant à l’authenticité de l’œuvre », confie Patricia De Zwaef.
Il y a également de nombreux faux dans les gravures, lithographies et sérigraphies – il n’est pas rare qu’elles soient en fait des impressions numériques.
« Si vous comptez vendre une œuvre, la faire expertiser pour quelques centaines d’euros vous permettra d’en avoir le cœur net et de ne pas risquer de la brader. Si vous faites appel à une petite maison de vente qui n’a souvent pas le temps de faire des recherches approfondies et que vous n’avez pas de certificat d’authenticité, l’œuvre sera vendue comme ‘attribuée à’ tel artiste, avec un prix nettement plus bas que si la traçabilité avait été démontrée. Naturellement, il faut que la valeur potentielle soit suffisamment élevée pour entamer cette démarche », ajoute Patricia De Zwaef.
Assurance et fiscalité
Bien assurer ses œuvres d’art et ses collections passe nécessairement par une assurance spécialisée, l’assurance habitation n’étant pas adaptée aux risques spécifiques. Ceux-ci comprennent principalement le bris accidentel (jamais couvert par une assurance habitation), les dégâts des eaux et d’incendie (le risque de moins-value de l’œuvre restaurée est couvert par l’assurance spécialisée) et le vol.
Le montant de la valeur de l’œuvre précisé dans la police d’assurance servira aussi à long terme à vos héritiers, lors de la déclaration de droits de succession. En prévoyant, en amont, le dossier de provenance des œuvres que vous possédez, vous éviterez de faire un cadeau empoisonné à vos proches puisqu’ils auront tous les justificatifs en cas de contrôle.
***
Contact Presse
Gunther De Backer
Backstage Communication
+32 475 90 39 09