Attaques de drones : quels impacts sur le commerce et l’assurance maritime ?
Jean Verheyen, « souscripteur-mandaté » actif dans les secteurs de niche du Transport et de l’Art & Patrimoine, compte parmi les leaders de l’assurance maritime. Les drones, qui font régulièrement la une de la presse, sont aussi une menace croissante pour le commerce maritime. Alors que des dizaines de milliers de navires entrent et sortent des ports belges chaque année, quelles sont les règles d’assurance en cas d’attaque ?
Les drones navals sont devenus des armes stratégiques de l’Ukraine contre la flotte russe en mer Noire, tandis qu’en mer Rouge, les Houthis du Yémen mènent depuis 2023 des attaques sur des navires marchands à l’aide de drones pour faire pression sur Israël. Si l’on peut espérer que la paix s’installe à Gaza et ramène de la sérénité sur la route maritime passant par la mer Rouge, les drones n’en restent pas moins une menace croissante pour les navires marchands. Les produits dangereux (pétrole, produits chimiques…) et les produits de grande valeur deviennent des cargaisons plus risquées, que ce soit sur le plan environnemental ou financier.
Il est intéressant de comprendre les grands principes de l’assurance maritime lorsque l’on sait que la Belgique se classe au 13e rang mondial des pays exportateurs et au 15e rang des pays importateurs, le montant des échanges commerciaux a atteignant 970 Md€ en 2024, selon l’agence du commerce extérieur[1].
Des navires de mer de plus en plus gros
En 2024, 147 millions de tonnes de marchandises ont été débarquées dans les ports maritimes belges et 128 millions de tonnes y ont été chargées sur des navires. Des navires dont la taille ne cesse d’augmenter : en dix ans, les marchandises passées par les ports belges ont augmenté de 13%, alors que le nombre de navires de mer entrés et sortis de nos ports a diminué de 14%[2].
Le volume moyen à assurer par navire est donc de plus en plus important et les conséquences en cas de sinistre aussi. Quand on sait que les navires porte-conteneurs internationaux peuvent transporter entre 10.000 et 24.000 containers, on comprend que le moindre incident peut entrainer des retards de livraison et de production pour des milliers d’entreprises et qu’un sinistre aura des répercussions dramatiques. Les assureurs se partagent les risques car les montants en jeu sont gigantesques. Il y a ceux qui assurent le bateau et ceux qui assurent sa cargaison.
« Avec AXA, que nous représentons dans ce secteur, nous figurons parmi les principaux assureurs maritimes. Nous assurons uniquement les marchandises. L’assurance cargo couvre, au voyage ou à l’année, les marchandises exposées durant leur transport à des risques de vol, d’accident, de contamination, d’incendie, de manipulation, de collision, d’échouage ou encore d’abordage », explique Laurent Verheyen, CEO de Jean Verheyen.
Des tensions géopolitiques qui brouillent les cartes
Une extension de couverture est proposée (et généralement souscrite) pour couvrir les risques de grève, d’émeute et de terrorisme, qui sont alors assurées via une clause spécifique. L’extension peut aussi couvrir les risques de guerre, également via une clause spécifique.
La couverture de guerre prévue dans une police d’assurance cargo ne s’applique qu’en cas de déclenchement inattendu d’une guerre, d’une guerre civile ou de troubles importants. Une fois la guerre avérée (ce n’est plus un risque mais un fait), la couverture est automatiquement annulée, moyennent un délai de généralement 7 jours, afin de permettre au courtier d’informer son client et de couvrir à nouveau ce risque s’il le souhaite, aux nouvelles conditions proposées par l’assureur ou auprès d’un assureur spécialisé en risque de guerre. Les expéditions dont le voyage a commencé avant l’expiration du délai de préavis restent quant à elles assurées aux conditions initiales.
C’est à l’assureur de prouver dans quelle situation s’est déroulé le sinistre et s’il est donc couvert ou non. Or il est de plus en plus difficile de faire la distinction entre les termes de terrorisme, piraterie et guerre. Lorsque qu’un État comme l’Iran arraisonne le porte-conteneurs MSC Aries en 2024 en-dehors de ses eaux territoriales, s’agit-il de piraterie ou d’un risque de guerre ? Les Houthis dont les attaques sont répétées (l’une des dernières victimes étant le navire néerlandais Minervagracht) peuvent-ils encore être considérés comme des pirates ou leurs attaques sont-elles des actes de terrorisme ou des actes de guerre ? De nouveaux termes émergent aussi, comme ‘guerre hybride’, ‘confrontation permanente’, ‘affrontement’, ‘geek économie du sabotage’ ; des termes qui sont autant de zones grises.
Si un drone est lancé par un État en guerre, les dommages relèvent des risques de guerre, tandis que s’il est lancé par des terroristes, ce n’est pas le cas. Mais on constate qu’il est extrêmement difficile de prouver l’origine des attaques, surtout quand les chaines de responsabilité sont diluées (le donneur d’ordre pouvant être dans un pays et l’auteur indirectement lié dans un autre). Il faut aussi pouvoir les identifier et les intercepter mais les navires marchands ne sont pas des navires de guerre.
Les 7 catégories des risques
Concernent les risques de guerre, Jean Verheyen, comme la plupart des assureurs, se réfère à la Global Cargo Watchlist[3] publiée au Royaume-Unis par le Joint Cargo Committee (JCC[4]). Sa notation comprend 7 catégories de risques : Low, Moderate, Elevated, High, Very High, Severe et Extreme.
Si un pays atteint la note Very High, le courtier est tenu de déclarer les expéditions de son client qui passeront par là – elles resteront couvertes moyennant le paiement d’une surprime. En revanche, dès qu’un pays est mentionné dans les deux catégories les plus risquées, la couverture de guerre est automatiquement annulée. Actuellement, cinq pays sont classés dans la catégorie “Severe” dans le cadre du transport maritime (deux autres classements concernent les risques terrestres et aériens) : Haïti, l’Iran, le territoire palestinien, l’Ukraine et le Yemen.
Les risques de grèves et d’émeutes suivent la même règle que les risques de guerre : si le pays ou la région où surviennent ces troubles passe dans la catégorie ‘severe’ ou ‘extreme’, la couverture est automatiquement résiliée sous 7 jours.
Une origine historique
« Après le bombardement de la ville espagnole de Guernica en 1937, les assureurs ont pris conscience que les risques de guerre étaient devenus trop systémiques, autrement dit qu’un trop grand nombre d’assurés pouvaient être touchés en même temps. Les assureurs maritimes ont alors mis en place le Waterborne Risks Agreement pour cesser de couvrir les risques de guerre terrestres. Depuis lors, la marchandise n’est couverte qu’à partir du moment où elle ‘flottante’, c’est-à-dire qu’elle se trouve à bord du navire. Si elle est à terre, ou dans une zone que nous ne couvrons pas, il faut s’adresser à un assureur spécialisé dans ce genre de risque très élevé », rappelle Jan Haentjens, General Secretary chez Jean Verheyen.
Aujourd’hui, les assureurs sont aussi de plus en plus confrontés aux risques systémiques liés aux catastrophes naturelles et aux cyberattaques.
L’Union Internationale de l’Assurance Maritime (IUMI) a récemment souligné la nécessité pour les assureurs de s’adapter aux risques mondiaux de plus en plus complexes et à des changements technologiques rapides.
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Backstage Communication
[1] https://abh-ace.be/fr/file/10114/download?token=-JYsvQPy
[2] https://statbel.fgov.be/fr/themes/mobilite/transport/navigation-maritime#figures
[3] La GCWL est consultable sur S&P GLOBAL.
[4] Un comité mixte dans lequel le marché du Lloyd’s (LMA) et l’International Underwriting Association (IUA) sont représentés.